mercredi 7 décembre 2011

3/ MON RéSEAU, MA VIE.


Je me suis réveillée trop tôt.
La journée va être longue.
Sur Lifebook, les insomniaques postent des clips jusqu'à cinq heure du matin environ et les lève-tôt attaquent vers 6 heure et demi.
Il y aurait un semblant de silence si je n'avais pas quelques amis américains et japonais.
Ils assurent la jonction.
Il n'y a donc jamais de repos sur le réseau.

On peut y distinguer deux types d'utilisateurs.
Les "occasionnels" qui s'en servent de manière épisodique pour montrer leurs enfants, la villa où ils passent leurs vacances, leurs créations ou pour annoncer leurs prestations publiques quand il s'agit d'artistes.

Et puis il y a les "accros" dont je fais partie.
Le réseau a absorbé nos vies.
La première chose que nous faisons avant même de penser à petit déjeuner, c'est de consulter notre profil* pour savoir si quelqu'un a liké ou commenté un de nos liens*.

Après ça, nous consultons le mur collectif*.
Nous likons à notre tour des pensées pertinentes, les mini reportages vidéos et les articles à sensation auxquels nous adhérons.
Quand nous considérons qu'une info est vraiment importante, nous la partageons en la publiant sur notre propre mur afin que tous les membres de notre réseau puissent y accéder.
C'est de la communication virale.

Nous diffusons de l'information.
C'est important.
C'est avec les informations qu'on bâtit sa vision du monde et son avis sur chaque sujet.
Dans les médias de masse, il n'y a plus d'informations indépendantes.
Elles ont été sacrifiées sur l'hôtel de l’Économie aux intérêts supérieurs de ceux qui les possèdent : les industriels et les vendeurs d'armes.

Sur Lifebook, il y en a de l'info indépendante ! Dissidente par nature.
Tous les sujets peuvent y passer mais dans la branche de réseau dont je fais partie, ce sont les organisations secrètes des maîtres du monde, les mensonges d'état et les agissements criminels des multinationales qui nous intéressent avant tout.
Nous nous échangeons également des infos sur les traitements médicaux alternatifs et sur les méthodes de jardinage ou de nettoyage qui ne sont pas nuisibles pour l'environnement.
Enfin circulent également pas mal de formules spirituelles qui nous invitent à nous élever au dessus de notre condition de petit producteur-consommateur.
Ça, c'est dans mon réseau.

Chaque réseau est unique, fonction des amis qu'on a.
Sur certains réseaux, on ne parle que de sport, de musique ou on se transmet les dernières blagues en circulation.
Lifebook représente bien la société de ce point de vue – sauf que les gens sérieux, vraiment occupés, n'y sont pas.
Parce qu'il faut avoir du temps – à perdre diront ses détracteurs – pour échanger et bavarder comme ça pendant des heures avec des gens qu'on ne connait pas en vrai et qu'on ne rencontrera sans doute jamais.

J'ai ce temps.
Les "accros" à Lifebook l'ont tous.
Pourquoi ?
J'ai mis un certain temps à le comprendre.
Parmi nous il y a pas mal d'handicapés, de jeunes retraités, des chômeurs, mais il y a surtout des célibataires.
Lifebook est en fait un réseau de célibataires branchés.

Meetic*, c'est pour les neuneus qui n'ont rien à dire à part : « je suis seul et j'aimerais bien que cela s'arrête ».
Sur Lifebook, le célibataire dit : « je suis seul et me sens concerné par plein de sujets importants. J'aimerais bien l'être moins. »

Il faut dire qu'il est beaucoup plus efficace de chercher sa moitié sur Lifebook qu'ailleurs. En un coup d'œil à son profil, on peut capter les centres d'intérêt, les goûts, le niveau social et culturel de chaque utilisateur. Grâce aux photos qu'il ou elle a publiées, on voit ses amis, sa maison et le genre de loisirs qu'il a.
On peut également discerner rapidement ses options politiques. C'est quand même beaucoup plus révélateur qu'un profil Meetic, comprenant juste une photo apprêtée, un âge souvent sous-évalué et une liste de loisirs confondante de platitude, genre : ciné, lecture et soirées entre amis. Avec ça, on est pas très avancé.

Moi, je n'étais pas célibataire, je faisais partie de la catégorie des chômeurs, sous catégorie "chômeurs heureux" qui laissent aux autres les tracas de la vie active et tous les besoins qui s'y rapportent.
Mais, comme on va le voir, un statut peut changer très vite sur Lifebook...


< A suivre... >

*profil : espace personnel où l'utilisateur se définit (nom ou pseudo, âge, lieu de résidence, centres d'intérêts, goûts musicaux et audiovisuels, photos, opinions politiques, citations préférées et texte de présentation) et peut être contacté  pour notamment "devenir ami"  //  *lien :  bouton textuel menant à des articles ou des vidéos qui se trouvent sur d'autres sites. Les réseaux sociaux n'hébergent pas eux-mêmes beaucoup de contenus, ils font surtout le relai vers d'autres médias ou sites d'hébergement. // *le mur collectif :regroupe les publications de chaque membre d'un réseau d'amis. Il y a donc autant de murs collectifs que d'utilisateurs puisqu'aucun n'a exactement les mêmes amis.  //  *Meetic : gros site de rencontre.